Pourquoi manifester pour le logement à Bruxelles ?

Parce que derrière la « crise du logement », se cache en réalité une crise de l'ACCÈS au logement

Quelques chiffres et arguments pour mobiliser largement. Toutes les données qui sont reprises dans ce premier chapitre sont tirées de références citées en annexe du guide de mobilisation.

► Crise du logement abordable en Région de Bruxelles-Capitale : Nous vivons à Bruxelles une crise du logement abordable caractérisée par une double tendance : alors que les prix des logements augmentent beaucoup dans toute la ville, les bruxellois·e·s, surtout les plus précaires, sont de plus en plus pauvres.

Situation sociale Bruxelles compte 1 235 000 habitant·e·s, soit 576 000 ménages (c’est-à-dire une unité économique : une famille, une personne isolée, etc.). 280 000 ménages, soit la moitié environ, sont dans les conditions d’accès à un logement social (chiffres IBSA 2023).

Les revenus à Bruxelles sont bas : le revenu net médian par habitant·e était de 16 930 €/an en 2021 (soit +/- 1400 €/mois). … et inégalement distribués : les habitant·e·s de nationalité belge ont un revenu médian après impôt de 17 975 € contre 12 794 € pour les habitant·e·s de nationalité étrangère (hors UE27). Nationalité belge : 17 975 € Nationalité étrangère UE-27 : 16 123 € Nationalité étrangère hors UE-27 :12 794 €

À Bruxelles, les personnes les plus riches gagnent en moyenne 13,8 fois plus que les personnes les plus pauvres. En Flandre et en Wallonie, cet écart est de 8,7 fois.

Augmentation des loyers sur le marché privé 54% de la population bruxelloise est locataire du privé.
Entre 2010 et 2020 : les loyers ont augmenté d’au moins 20% en plus de l'inflation.

Décrochage entre loyers et revenus Le loyer moyen en région bruxelloise sur le marché privé est de 1154 € (2022). Le revenu minimum (temps plein) est fixé à 1660 €. Le Revenu d’Intégration Sociale (CPAS) est fixé à 1288,5 € pour une personne isolée, et 1741 € pour une personne à charge de famille. En moyenne, 70% des revenus des allocataires sociaux·sociales partent dans le loyer. Pour les autres ménages, ce sont 35% des revenus en moyenne qui servent à se loger.

Bailleurs et transfert de revenus 70% des appartements loués en région bruxelloise appartiennent à des ménages qui mettent en location 1,2,3,4 ou 5 logements maximum. En Belgique, en moyenne, 47 % des locataires perçoivent la moitié des revenus de leur bailleur avant le paiement du loyer. 30% des locataires gagnent seulement un quart des revenus de leur bailleur.

15% des ménages bruxellois possèdent 62% des logements mis en location par des personnes privées. Les 38% restants de logements loués appartiennent à des personnes qui vivent en dehorsde la région bruxelloise. Les loyers payés par les bruxellois·e·s sur le marché privé sont annuellement estimés à 2,8 milliards d’euros. Il est intéressant de constater que les dépenses régionales totales sont de 6,6 milliards (2022).

Insalubrité L’insalubrité est difficile à quantifier, mais c'est un problème important à Bruxelles, particulièrement dans les quartiers denses, anciens et populaires. Les loyers y sont plus faibles que sur le segment neuf ou rénové, mais ils restent malgré tout très élevés au vu de l'état des logements. Cela s'explique notamment par le fait que les habitant·e·s de ces quartier font l'objet de discriminations sur le marché du logement : parce qu'ils ont plus de difficultés à se faire accepter par un·e bailleur·euse, iels sont souvent forcé·e·s d'accepter des logements inadéquats. Iels paient en quelque sorte une « taxe » parce qu’eils sont pauvres, racisé·e·s, malades...

Discrimination sur le marché locatif S'il est difficile de quantifier les discriminations qui s'opèrent lors de la recherche d'un logement, la pratique et de nombreuses études démontrent qu'elles sont nombreuses : l'origine, la couleur de peau, le handicap, le type de revenus, etc.
À titre d'exemple : une étude d’UNIA montre que les personnes portant un nom à consonance maghrébine sont discriminées par 15% des propriétaires privés dans toutes les villes testées en Belgique. Ce chiffre monte à 22% à Bruxelles.

Sans-chez-soirisme 7134 personnes sans-abris ont été comptabilisées en 2022. Le dernier dénombrement de 2024 portera très probablement ces chiffres à 10 000. 11,3% de ces personnes étaient dans l’espace public ; 45% dans des hébergements, des institutions ou des foyers ; 34% dans des « logements non conventionnels » ; 5,3% chez des tiers (un chiffre sûrement sous-estimé), et 4,1% étaient sous menace d’expulsion.

Logements sociaux 6% des ménages (40 505) louent des logements sociaux. Ils paient en moyenne 375 €/mois de loyer. En 2023, 53 801 ménages étaient sur liste d'attente pour un logement social. Les délais pour l'obtenir se situent entre 7 et 16 ans. En 2023, environ ⅓ des ménages en attente touchaient une allocation loyer. Malgré ce manque évident, la construction reste lente et insuffisante : en moyenne 200 logements sociaux/an sur 10 ans (même si on remarque une accélération sous la législature 2019-2024).

Autre type de logements hors du marché privé Agences Immobilières Sociales (AIS) : 7749 logements privés sont gérés par des AIS en région bruxelloise. La différence entre le loyer payé par la·e locataire et le loyer perçu par la·e propriétaire est subsidié par la Région, ainsi que la gestion locative et le maintien en bon état du logement. Logement public (non géré par une société de logement social, ou SISP) : 6700 logements détenus par des communes, la Région, le fonds du logement, etc. Les loyers y sont souvent (mais pas toujours) inférieurs au prix du marché.

Expulsions Les expulsions ne sont pas enregistrées systématiquement : cela rend difficile de les quantifier. Selon une étude de l'ULB/VUB basée sur des chiffres de 2018 : Il y a environ 4000 décisions d’expulsion rendues par la justice de paix chaque année à Bruxelles, soit environ 11 par jour. Dans 60% des cas, les locataires n’étaient pas présent·e·s à l’audience en justice de paix, et sont donc condamné·e·s par défaut ! On compte 600 expulsions effectives par an, c'est-à-dire avec l'intervention d'un·e huissier·e de justice, la police et des déménageur·euse·s). Ces chiffres ne disent rien sur les très nombreux·ses locataires qui « s’auto-expulsent », c'est-à-dire qui quittent leur logement avant l'expulsion physique (ou avant l'exécution de la décision de justice) 80% des affaires d'expulsions ont pour cause des arriérés locatifs. Il s'agit donc bien d'un problème de loyers impayables, et non de loyers impayés !

Gentrification et concurrence entre les habitant·e·s C'est une tendance générale : les logements sont de plus en plus chers dans toutes les communes de la région bruxelloise. Depuis les années 2000, les prix ont augmenté de manière encore plus significative dans les quartiers plus aisés (Ixelles, Uccle, désormais Saint-Gilles). Dès lors, une partie des classes intermédiaires cherchent à se loger moins cher en allant vivre dans les quartiers populaires (Molenbeek, bas de Forest, Schaerbeek, etc.). Ces quartiers sont devenus attractifs pour la promotion immobilière, au détriment des habitant·e·s historiques : on y trouve de grands terrains pas (trop) chers sur lesquels les autorités publiques autorisent des investisseurs privés à construire des tours de logements de qualité supérieure (Tour et Taxis, Biestebroeck, Molenbeek maintenant).

En conséquence : le logement n'étant pas un luxe, les familles emploient diverses techniques de survie pour ne pas se retrouver à la rue : Les ménages emménagent avec leur famille élargie (tantes, oncles, grands-parents,...) dans la même maison, ou se mettent en colocation pour économiser sur le loyer. Les ménages déménagent dans des logements plus petits et moins confortables, ou plus chers. Les ménages acceptent un logement insalubre parce qu'ils ne peuvent se permettre autre chose. les ménages déménagent vers des quartiers moins chers de la région bruxelloise, voire en dehors de celle-ci.

Pas une fatalité : nos revendications ! Tout ceci n’est pas une fatalité : la hausse croissante des prix du logement n’est pas un phénomène naturel. Nous comprenons et analysons l’évolution du marché. Les demandes que reprennent les membres de cette mobilisation sont réalistes et si on les met en œuvre, elles seront efficaces.

1- Des logements sociaux en plus grand nombre et réparti sur tout le territoire bruxellois Plus le parc de logement social est vaste, plus il a de chance d’influencer les prix du marché, et moins il sera discriminant et jugé négativement par la population. C’est un cercle vertueux. Le logement social est également une forme de logement anti-spéculatif et un rempart contre la gentrification. Les sociétés de logement social doivent bien sûr traiter les locataires avec respect et ceux-ci doivent être cogestionnaire de leurs logements — qui doivent respecter des normes strictes de salubrité.

2 – La fin des expulsions Les expulsions sont un acte inhumain et dégradant. Leurs conséquences sur la santé mentale, la santé physique et la situation économique des personnes se font sentir sur plusieurs années après qu’elles aient eu lieu. En termes humains, sociétaux et financiers il est bien plus judicieux de mettre tout en œuvre pour éviter les expulsions plutôt que d’en réparer les conséquences.

3- La baisse des loyers Il est illusoire de croire que le marché immobilier s’autorégule pour fixer des prix optimaux. Actuellement, le marché privé ne permet pas à toustes de vivre dignement. Si on n’agit pas sur les loyers, ils vont continuer à monter. Sans contrôle collectif, les bailleurs tendent à maximiser la rente qu’ils peuvent tirer des logements. Rappelons que les bailleurs à Bruxelles ne représentent que 15% des habitant·e·s… et les locataires plus de 60%!

4- La fin du sans-chez-soirisme Un chez-soi où vivre en sécurité pour tout le monde : c'est possible. La gestion actuelle du sans-abrisme et du mal logement coûte cher, enrichit des acteurs privés peu scrupuleux, et tend à maintenir les personnes dans des situations de dépendance. Des solutions existent et fonctionnent, comme le système du Housing First : il s’agit d’inverser la logique et de donner avant toute chose un accès inconditionnel au logement aux personnes sans-chez-soi.

5- La régularisation des personnes sans-papiers Sur le marché locatif, les personnes sans papiers sont encore plus exploitées et maltraitées que les autres locataires. L’impossibilité de faire valoir leurs droits permet à certains bailleurs d’extorquer des loyers faramineux et de louer des espaces indécents. Ce segment du logement très précaire, très insalubre et cher influence très probablement le segment populaire du marché locatif et participe à tirer vers le haut le prix d’espaces indignes.

Inspirations d'ici et d'ailleurs, mobilisons-nous ! Vienne : cela s’est construit historiquement, mais à Vienne presque 60% des logements sont d’une façon ou d’une autre régulés par les pouvoirs publics. Ça fonctionne ! Les formes sont variées : logements sociaux, coopératives, régulation, etc. À Barcelone les luttes pour le logement ne cessent pas ! Depuis janvier 2025, il est question de mettre un grand hola aux Airbnb. En 2024 on a observé, suite aux mobilisations, un désinvestissement des fonds spéculatifs spécialisés dans le résidentiel. À Berlin, de longues luttes sont menées depuis plusieurs années avec un fort soutien populaire. Ce qui se joue, c’est bien de faire primer la fonction d’usage du logement (loger des gens) sur la fonction de profit économique (logique capitaliste). Les victoires sont attaquées par les lobbys de la propriété privée, mais les berlinois·e·s ne lâchent rien. Près de la place du Jeu de Balle à Bruxelles, une lutte a permis d’obliger la fabrique d’église à annuler une vente à des promoteurs immobiliers qui prévoyaient d’expulser, de démolir et de construire des logements de luxe. Ces logements, après rénovation, vont être dédiés à une fonction sociale. Etc !