La manifestation du Housing Action Day à Bruxelles
Le 31 mars, nous défilerons dans le centre de Bruxelles pour réclamer un accès à un logement digne et abordable pour les habitant·es de Bruxelles quels que soit leur origine, revenu, genre, ou situation administrative. Le cortège passera par plusieurs lieux symboliques pour le logement et l’urbanisme à Bruxelles : la station de métro Comte de Flandre, le Pont de Witte Van Haelen, le Petit Château, l’hospice Pacheco, l'Église des Béguinages, la place Sainte-Catherine, le Piétonnier et le Parlement bruxellois. Nous vous expliquons ci-dessous les enjeux et processus à l’œuvre dans cette zone en pleine transformation.
En pleine période électorale, alors que les prix des loyers grimpent et la population de Bruxelles s’appauvrit, alors que les grands projets immobiliers et la touristification transforment le centre-ville et poussent ses habitant.es dans les périphéries, il est essentiel de faire front pour réclamer une ville qui s’adaptent aux envies et besoins des gens qui y vivent. Fait marquant et très révélateur : le cortège n’a pas été autorisé à passer par le piétonnier et à s’arrêter devant la Bourse, comme il avait été prévu. La raison ? Ce n’est pas un lieu pour la politique, mais pour le loisir et le tourisme...
Le 31 mars, réclamons ensemble, haut et fort, notre droit au logement et à la ville !
- Départ du cortège à 15h30 de la station de métro Comte de Flandre à Molenbeek
- Toutes les infos pratiques ici
Le trajet de la manifestation
1. La station de métro Comte de Flandre à Molenbeek
La manifestation prend son départ en plein cœur du Vieux Molenbeek. C’est le berceau de l’industrie bruxelloise. Durant le premier quart du XIXe siècle, ce sont des centaines d’ouvrier·es qui viennent travailler dans les usines qui vont donner au quartier le surnom de « Petit Manchester ». L’axe du canal vers Charleroi finalisé en 1832 va assurer l’approvisionnement en charbon. A la fin des années 60, l’État belge passe des accords d’importation de main d’œuvre avec l’Espagne (1956), la Grèce (1957), le Maroc (1964). Les travailleur·euses immigré·es affluent et s’installent dans les quartiers ouvriers proches du canal. Mais la désindustrialisation frappe à la porte, les usines ferment laissant sur le carreau une population à la main d’œuvre peu adaptée à la tertiarisation de l’économie.
La station de métro Comte de Flandre, date des années 80 et de l’arrivée du métro – une arrivée qui va éventrer le quartier et donner prétexte à des expropriations forcées permettant au privé de revaloriser les terrains. La construction de la station laissera une percée béante pendant presque vingt ans faisant place aujourd’hui à des logements moyens acquisitifs dont de nombreux logements Citydev, des logements construits sur des terrains publics, avec une aide financière publique, qui repartent ensuite sur le marché privé. Ce type de logements va fleurir partout le long du canal dans l’objectif annoncé de créer de la mixité sociale dans les quartiers dits du croissant pauvre. Les politiques de revitalisation s’annoncent, les contrats de quartier se succèdent et la rénovation avance mais les pauvres restent pauvres. Pire, leurs loyers augmentent et iels éprouvent de plus en plus de mal à payer leurs loyers.
Au début des années 2000, le canal va être présenté comme une frontière à annihiler pour faire bénéficier la rive gauche (chaussée de Gand) de l’effet Dansaert (rive droite) avec ses boutiques chics et ses cafés branchés. Progressivement, la mutation du bâti s’accompagne d’une transformation sociologique : magasins bios, show room pour vélos branchés, boulangerie artisanale, designers... En 2010, le Vieux Molenbeek devient l’épicentre du festival Kanal, en 2014, il se voit affubler du nom pompeux de « Métropole culturelle ». D’autres types de publics investissent le quartier : des personnes des milieux artistiques et culturels, des jeunes adultes de formation universitaire, des travailleur·euses du secteur tertiaire… Bref, des groupes sociaux au capital économique et culturel très différents de la majorité des habitant·es du quartier.
À l’arrière, autour du parvis Saint Jean-Baptiste, les quartiers continuent d’accueillir majoritairement des personnes à bas revenus, souffrant d’un taux de chômage élevé (plus encore chez les jeunes) qui s’entassent dans des logements souvent encore dégradés malgré les politiques de revitalisation. Elles ont néanmoins l’avantage de rester proches du centre-ville. Mais pour combien de temps encore ? Car les opérations immobilières de grande ampleur que l’on observe (îlot Besix, Dépôt Design, Sainctelette...) alimentent la spéculation dans le quartier tandis que des besoins criants en logements bon marché et en équipements et services collectifs/publics (crèches, soutien scolaire, lieux de formation, espaces publics, espaces verts…) restent défaillants.
Texte original : Inter-Environnement Bruxelles, « Navigation entre les rives (anti)spéculatives du canal »
2. Pont de Witte Van Haelen : Le projet Canal
Lancé en 2014 par la Région bruxelloise, le Plan Canal vise à l’aménagement et la rénovation des zones avoisinantes du canal de Bruxelles. Comparé à d’autres grandes villes, la transformation urbaine à coup de grand projets immobiliers s’opère relativement tardivement à Bruxelles. Promotion immobilière et pouvoirs publics accordent leurs violons pour considérer que le territoire du canal, conçu historiquement pour le déploiement des activités industrielles bruxelloises, devienne un lieu de résidence et de plaisance. Nos quartiers centraux sont trop pauvres et doivent être « redynamisés », ils doivent s’ouvrir à une plus grande « mixité sociale ». Aujourd’hui, on semble très loin de ces ambitions alors que les tours poussent sur des terrains jusqu’à il y a peu destinés à l’industrie de la ville, loisirs, commerces et logements de haut de gamme chassent les habitant·es des quartiers populaires.
Petit historique : En 1561 le canal de Willebroeck est inauguré pour relier Anvers et Bruxelles sans passer par les méandres de la Senne. Début XIXe, en pleine révolution industrielle, le canal est étendu jusque Charleroi, traversant ainsi Bruxelles sur 14 km. Aujourd’hui 7 millions de tonnes de marchandises transitent par le canal chaque année, soit la moitié de ce qui y transitaient en 1970, marquant le déclin des activités industrielles.
Avec le Plan Canal, la Région prévoit de densifier la population de la zone à travers la construction de logement de masse. La perspective de construire de grandes tours et nouveaux lieux de consommation attire les promoteurs immobiliers. Ils identifient les quartiers populaires adjacents comme des ghettos à revitaliser, des friches industrielles à reconquérir par les pouvoirs publics, les promoteurs, les créatifs et les touristes de tout poil. Les prix flambent, les classes populaires sont reléguées aux marges de la ville : c’est un phénomène classique de gentrification et d’exclusion sociale. Ce mouvement de transformation avait démarré en 1998 avec l’arrivée de la KBC, puis Bruxelles-les-Bains en 2002, la rénovation de Tour et Taxis à partir de 2009, et la finalisation de la plus haute tour de logements de luxe, la tour UP-site de 140 m de haut, réalisée par Atenor en 2014. Parmi les chantiers encore à réaliser, ‘Lake Side’ et ‘Park Lane’ (développés par Nextensia) prévoient pas moins d’une vingtaine de nouveaux blocs, dont certains atteindront 100 à 150m. Ces blocs doivent principalement accueillir du logement moyen et de luxe, des bureaux et des commerces.
La valorisation foncière et immobilière favorisée par le Plan Canal nous rend perdant·es à de nombreux égards. Elle hypothèque notamment le retour des activités portuaires en milieu urbain. Le Port de Bruxelles peine à garantir la légitimité des activités portuaires en milieu urbain de nature à fournir un glissement des flux routiers du trafic portuaire vers le mode fluvial. Les espaces publics se transforment à coup de contrats de quartier et de rénovation urbaine (CRU) dans l’espoir de susciter un effet d’entraînement avec pour mot d’ordre la « reconquête » des quartiers qui bordent le canal mais génère une privatisation progressive de l’espace public. Les projets commercialisent l’espace urbain et en dépossèdent les habitant·e·s pour un nouveau mode de vie « exclusif » entraînant une « fermeture » de l’espace public soi-disant revitalisé au bénéfice de tou·tes.
Face au sentiment d’impuissance que peut générer de tels chantiers, le mouvement du Housing Action Day veut rappeler qu’il est possible de se mobiliser collectivement, d’exiger des politiques qui contrôlent la hausse des prix des loyers et l’acquisition foncière, de réclamer plus de logements sociaux.
Texte largement inspiré de : Inter-Environnement Bruxelles, « Navigation entre les rives (anti)spéculatives du canal »
Pour aller plus loin :
- Bruxelles Dévie, « ‘Plan canal’ : Un projet de destruction organisée des quartiers populaires »
- ARAU , « Pour une trêve sur les projets de densification le long du Canal à Molenbeek »
- Inter-Environnement Bruxelles, « Le canal vu d'en bas », 3 épisodes vidéo
- Mammouth, « Le plan canal : Un écocide immobilier et gentrifié ? »
3. Le Petit Château : La « crise de l’accueil »
Le Centre d’arrivée du « Petit-Château », géré par Fédasil, est un lieu symbolique en ce qui concerne l’accueil des personnes qui demandent d’asile en Belgique (les « demandeurs de protection internationale » ou « DPI »). Si les demandes ne sont plus enregistrées à cet endroit depuis novembre 2022 (mais à l’Office des étrangers boulevard Pacheco), c’est encore là que sont évalués le droit à l'aide matérielle et au premier accueil des DPI, et qu’il leur est attribué une place dans une structure d'accueil appropriée.
Depuis plus de deux ans et demi, la Belgique fait face à une « crise de l’accueil », c’est-à-dire qu’elle n’est plus en mesure de prendre en charge l’entièreté des personnes en procédure d’asile sur son territoire. C’est pourtant une obligation selon les lois belges, mais également internationales. En septembre 2021, des DPI ont commencé à devoir passer une, deux nuits dehors. La situation s’est ensuite fortement aggravée avec une prise en charge uniquement concentrée sur les « profils vulnérables » laissant de nombreuses personnes, souvent des hommes seuls, à la rue.
En septembre 2022, chassés des alentours du centre situé sur le territoire de Bruxelles-Ville, des demandeurs d’asile Afghans ont commencé à s’installer sur le pont face au Petit-Château. Au plus froid de l’hiver, les campeurs ont tenu bons, soutenus par un collectif de riverain.es spontanément créé en soutien. En février, suite à l’expulsion du « Palais des droits » à Schaerbeek, où environ 700 exilés avaient trouvé refuge dans un bâtiment inoccupé, des centaines d’autres exilés de toutes nationalités sont venus grossir le campement. Expulsés puis relogés dans des squats à plusieurs reprises, de nombreux demandeurs d’asile sont aujourd’hui sans solution de logement.
Aujourd’hui, on estime à plus de 3000 le nombre de personnes qui devraient être prises en charge par l’Etat fédéral mais ne le sont pas. La secrétaire d’Etat à l‘asile et à la migration Nicole de Moor est même allée jusqu’à publiquement annoncer, en septembre 2023, l’arrêt de la prise en charge des hommes isolés par Fedasil, au mépris de l’État de droit et des quelques 9000 condamnations de l’État par les tribunaux belges et la Cour européenne des droits humains à l’encontre du gouvernement.
Cette « crise de l’accueil » entraîne des répercussions sur l’ensemble du secteur du logement à Bruxelles et, de plus en plus, dans d’autres villes du pays. Alors qu’un nombre croissant de DPI se retrouvent à la rue, les structures d’accueil d’urgence et de soutien aux personnes sans chez-soi sont incapables de faire face aux besoins. Plus largement, cette crise est aussi symptomatique des difficultés auxquelles font face les personnes migrantes (DPI mais aussi sans-papiers, personnes ayant tout juste obtenu leur droit de séjour, etc.) pour se loger, dans un contexte où les logements abordables sont de plus en plus rares.
Pour aller plus loin :
- CIRE, https://www.cire.be/publication/crise-de-laccueil-des-demandeurs-asile-une-histoire-sans-fin/
- CIRE, « L’accord pour sortir de la “crise de l’accueil”: des mesures insuffisantes! »
- CIRE, « L’échec prévisible de l’accord pour sortir de la “crise de l’accueil” »
- CIRE, « Les mesures de sortie de “crise de l’accueil”: un marchandage cynique »
- Ligue des droits humains, https://www.liguedh.be/wp-content/uploads/2024/01/EDH-Article-1-Etat-de-droit.pdf
4. L’hospice Pacheco : Squats et anti-squat
Le 26 février 2021, une quarantaine de militant·es étaient violemment arrêté·es par la police après avoir tenté d’occuper le bâtiment du Grand Hospice, propriété du CPAS de la Ville de Bruxelles, dans le cadre de la Campagne de Réquisitions Solidaires. Objectif : permettre à une centaine de personnes de la Voix des Sans-Papiers, dont de nombreuses familles avec enfants, de se loger dans ce bâtiment vide depuis quatre ans. Ce faisant, c’était refaire de ce lieux historique et symbolique un lieu d’accueil pour les plus démuni·es. Mais les pouvoirs publics ont alors fait la sourde oreille aux demandes de négociations et ont choisi la répression immédiate plutôt que la mise en œuvre du droit au logement.
Le bâtiment avait déjà été sollicité auparavant à deux reprises : l’une par la Voix des Sans-Papiers, l’autre par la Région en vue de créer du logement d’urgence. Le CPAS avait systématiquement refusé de mettre le bâtiment à disposition. Pour justifier leur action violente, les pouvoirs publics ont prétexté qu’ils auraient pu accéder à une demande d’occupation si cette dernière avait été introduite dans le cadre de l’appel à projets lancé par le CPAS. Sauf que l’appel à projets spécifiait noir sur blanc qu’une occupation de logements n’était pas autorisée, et que le CPAS souhaitait voir naître sur le site du grand hospice un projet « innovant, comportant une forte orientation sociale et culturelle ». Impossible, donc, d’y loger des personnes sans papiers.
Le 9 juillet 2021, près de cinq mois plus tard, le Grand Hospice (ré)ouvrait ses portes, en tant espace socio-culturel développé par la SPRL Pali Pali. Présentation par l’intéressée : « Accélérateur de projets culturels, sociaux et solidaires, Pali Pali crée, gère et dynamise des lieux d’échanges et d’expérimentations ». Parmi ces projets « sociaux et solidaires », on a pu retrouver, entre les cours de yoga et les résidences d’artistes, un week-end de fête en partenariat avec Red Bull.
Derrière le cas de l’hospice Pacheco se cache un phénomène plus large : celui de la tendance des pouvoirs publics à encourager des occupations temporaires à vocation culturelle dans des quartiers populaires, plutôt que d’y favoriser une politique sociale priorisant le logement, pourtant plus que nécessaire. Des entreprises privées comme Pali Pali ou Entrakt, qui gère le complexe Circle Park-Citygate, sont actives pour prendre en gestion des bâtiments vides et en « empêcher le squattage ».
Squatter est un acte politique, en ce qu’il affirme la prévalence du droit au logement sur le droit à la propriété privée, mais c’est aussi un acte nécessaire pour un public qui n’a tout simplement pas les moyens de se loger. Parmi les revendications du Housing Action Day, nous demandons la fin des expulsions sans solution de relogement, en ce compris les expulsions d’occupations temporaires et squats.
Pour aller plus loin :
- Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat, « Occuper des bâtiments vides: hébergement temporaire, combat politique »
5. Église des Béguinages : La lutte des sans-papiers
L’Église des Béguinages est un lieu symbolique de la lutte des personnes sans-papier en Belgique. Depuis la fin des années 80, le lieu a notamment été occupé a plusieurs reprises par des collectifs et militant.es sans papiers afin d’essayer d’obtenir, entre autres, l'établissement de critères de régularisation transparents et humains. La dernière occupation de l’Église a été initiée en janvier 2021 par l'Union des sans-papiers pour la régularisation (USPR), en parallèle à une occupation d’un auditoire de l’ULB. Dans ce cadre, une grève de la faim de plus de 400 personnes a été menée entre fin mai et fin juillet, à laquelle des promesses du Secrétaire d’État à l’asile et la migration a fini par mettre fin. Mais au grand désespoir des personnes concernées et des collectifs sans-papiers, ces promesses n’ont finalement pas été tenues. Les derniers occupants ont été évacués début mars 2022.
D’après une étude récente menée par la VUB, 112 000 personnes sans-papiers vivent en Belgique, dont environ la moitié à Bruxelles. Des familles marginalisées et rendues très vulnérables par une politique migratoire et d’accueil (ose-t-on encore parler d’accueil ?) tout bonnement scandaleuse et inhumaine. De nombreuses personnes sans papier, organisées ou non au sein de collectifs (tels que la Voix des Sans Papiers, le Comité des Femmes Sans papiers ou Zone Neutre) ont recours à l’occupation de bâtiments vides comme solution de logement, créant des îlots – hautement précaires il est vrai - de solidarité et de sécurité pour les personnes sans papiers et précarisées.
Pour les collectifs, organisations et citoyen·nes rassemblé·es autour du Housing Action Day, la régularisation est la seule voie possible pour permettre à ces dizaines de milliers de personnes de sortir de l’ombre, d’exercer leurs droits, et de se libérer de l’exploitation et des abus dont elles sont les victimes. Les personnes sans-papiers sont les cibles principales des marchands de sommeil, les premières victimes des expulsions sauvages. Privées de reconnaissance administrative, elles subissent toutes les dérives du marché locatif sans pouvoir les dénoncer. Beaucoup sont dans la rue aussi.
Le Housing Action Day soutient les revendications des personnes sans-papiers et des associations qui les représentent et appelle le gouvernement à développer des critères clairs, transparents et permanents pour la régularisation et l’accès aux droits des personnes sans papiers, seule voie possible à l’accès pour ces personnes à un logement digne.
Pour aller plus loin :
6. La place Sainte-Catherine: Reconquérir l’espace public
Bruxelles a changé : l’espace public est méconnaissable. Les terrasses ont envahi les places et les trottoirs. Les bancs publics sont devenus une rareté et la consommation d’alcool est désormais interdite. Désormais, un espace qui auparavant était destiné à tout un chacun est réservé exclusivement aux clients des restaurants et franchises des alentours. De nos jours, Bruxelles devient de plus en plus non-inclusive : l’utilisation commerciale de l’espace public prime sûr son l’utilisation publique. Ces projets d’intérêt commercial sont souvent gérés par des investisseurs étrangers. Ils repoussent peu à peu les petits commerces locaux et les personnes souhaitant simplement profiter de leur ville.
Au cours de l’été de 2015 Marion Lemesre, ancienne échevine du Commerce et de l’Emploi à la Ville de Bruxelles, a décidé de permettre aux restaurateurs de Sainte-Catherine d’étendre leur terrasses des trottoirs jusqu’à la place. Et depuis, elles prolifèrent sans cesse, changeant irrévocablement l’aspect et l’utilisation de cet espace public. Les bancs publics ont commencé à disparaître et les jeunes qui fréquentaient l’endroit furent régulièrement ciblés par des contrôles policiers discriminatoires. Tout ceci alors que les restaurateurs, eux, en plus de se remplir les poches, profitaient largement de subsides, octroyés par la Ville de Bruxelles, pour agrandir et renouveler leurs terrasses invasives. La réponse des habitants du quartier et des jeunes opprimés ne tarda pas : le contre-mouvement « Free 54 » vit le jour. À leur initiative, plusieurs rassemblements ludiques furent organisés, pour réapproprier l’espace public.
Finalement, la politique instaurée par l’échevine Lemesre s’est imposée, avec la promesse de soutenir l’économie locale. Un choix politique de la ville de ne pas écouter les préoccupations de ses citoyens Aujourd’hui, sept ans plus tard, le constat est frappant : 6 des restaurants indépendants avoisinant la place furent repris par des chaînes, dont les modèles d’entreprise, économiquement imbattables, étouffent l’économie locale dans une compétition inégale et sans merci. La confiance aveugle dans l’économie touristique a détruit l’usage public de la place. La Place Sainte-Catherine est devenue le symbole d’une politique asociale qui fait de cet espace public un endroit où beaucoup d’entre nous ne se sentent ni à l’aise, ni les bienvenus.
Texte original: Free54, « Reclaim what is public space »
7. Le Piétonnier : La touristification du centre-ville
Les plus ancien.nes d’entre nous se souviendront des « Pic-nic the Street » Boulevard Anspach, face à la Bourse à une époque où les voitures y passaient encore, pour réclamer le réaménagement d’un centre-ville alors encore tributaire du tout-à-la-voiture des années 80. Depuis, les voitures ont été évacuées d’une partie du Boulevard et le « piétonnier » est un lieu bien connu des bruxelloix.ses. Les autorités de la Ville s’en félicitent, et c’est indéniable, il est bien plus agréable de se promener dans le centre qu’il y a dix ans.
Pour autant, on ne peut s’empêcher en se baladant d’y voir le résultat de choix politiques clairs en terme d’aménagement du territoire, plus soucieux de flatter les touristes et les investisseurs que de répondre aux besoins des habitant.e.s du quartier. Alors que les centres commerciaux et les chaînes de fastfood font leur apparition, les promoteurs immobiliers se partagent la part du gâteau (près d’un milliard d’euros d’investissements sur l’ensemble de la zone) : la réhabilitation du centre monnaie (projets the Mint par AG Real Estate et Oxy par Immobel), le projet Brouck’ par Immobel et BPI Real Estate, le Brussel Beer World à la Bourse (bâtiment propriété de le Ville de Bruxelles et projet largement financé par des fonds publics au profit de la Fédération des brasseurs belges) et ou The Dome dans les anciens bureaux, propriété publique, d’Actiris (VDD Project Development), la réaffectation de l’Hôtel Continental, etc. Ces projets donnent la part belle aux commerces, hôtels, bureaux,..
Quant au logement, l’accent est surtout mis sur le haut-de-gamme : rien qui ne réponde au besoin criant de logements abordables à Bruxelles. Dans ce périmètre, la proportion de logement sociaux était déjà critiquement faible (2,43 % en 2019 pour 7 % en région bruxelloise) et ne fait ainsi que diminuer. Autre témoin, visuel, de la priorité donné au tourisme sur l’usage quotidien des habitant.es : le style très minéral et dégagé des places, pensé pour laisser la place à de grands évènements touristiques (Plaisirs d’Hivers, Brussels Summer Festival). Les manifestations politiques, quant à elles, n’ont toujours pas retrouvé leur place dans cet axe central. D’ailleurs, le trajet original de notre cortège devait passer par le piétonnier, mais l’autorisation n’a pas été accordée sous prétexte qu’il s’agit d’un lieu « réservé aux loisirs et au tourisme, pas à la politique »...
Est-il trop tard pour ‘sauver’ le piétonnier ? L’octroi des permis, les décisions sur l’affectation du sol, et planification urbaine restent des outils dans les mains des politiques. Pour l’ARAU, « cette partie de la ville doit devenir un vrai « morceau de ville », habitable et habité. Les « ingrédients de la recette » pour y parvenir sont connus : mixité des fonctions (logements, commerces, équipements publics, etc.) et mixité sociale (logements abordables, commerces de proximité), garantie de la pluralité des usages de l’espace public, environnement sain... bref, un accès, pour tous, à toutes les fonctions, à tous les « services » qu’offre la ville. Il n’est pas question pour autant de nier la centralité de ce(s) quartier(s) : des fonctions et activités supralocales (culturelles, commerciales, touristiques...) y ont bien sûr leur place, à condition qu’elles ne relèguent pas au second plan les intérêts des habitants. »
Source : ARAU, Analyse : « Le Piétonnier, et maintenant? »
Pour aller plus loin :
- Plateforme Pentagone, « D’autres modèles de piétonnier sont possibles : les suggestions de la Platform Pentagone »
- La Libre, « Comment le piétonnier bruxellois est devenu la "Malbouffe Valley" »
8. Le Parlement bruxellois (plus bas dans la rue du Lombard): La politique du logement à Bruxelles
En Belgique, la compétence « logement » est avant tout une compétence régionale. C’est au niveau de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) que les lois et politiques sont décidées, bien que les communes jouent également un rôle important dans la mise en œuvre du droit à l’habitat (lutte contre les logements insalubres et contre les logements vides, octroi des permis d’urbanisme, gestion des CPAS etc.). La politique du logement à Bruxelles s’articule, depuis la création de la RBC en 1989, autour de deux pôles parfois antagonistes : garantir le droit à un logement décent et abordable pour tou·tes, tel que prévu dans la Constitution ; et attirer et maintenir les classes moyennes/supérieures dans la ville afin de tirer des recettes fiscales suffisantes pour financer ses politiques.
Le logement est une question particulièrement épineuse à Bruxelles : avec une population croissante qui s’appauvrit, environ 2/3 de locataires, et des loyers constamment à la hausse, une « crise du logement » sévit depuis une bonne quinzaine d’années. L’offre de logement social, qui permet aux ménages les moins aisés de se loger à hauteur de leurs moyens (environ 7 % de marché locatif), est trop faible pour combler les besoins des habitant·e·s : environ 50 % de la population rentre en effet dans les critères pour y accéder. Après près de trois décennies de désinvestissement du parc social, des nouvelles constructions sont prévues dans les plans qui se succèdent depuis le début des années 2000 (Plan régional du logement en 2004, Alliance Habitat e en 2013, Plan urgence logement en 2020). Ces plans ambitieux accusent cependant de nombreux retards, et aujourd’hui, 56 000 ménages sont toujours sur les listes d’attente. Des mesures compensatoires ont également été prises pour pallier au manque de logement social, comme l’allocation loyers ou la création du système d’Agences Immobilières Sociales (qui mettent des logements privés à disposition des allocataires sociaux). Si elles diminuent un peu la pression, elles constituent toutefois une fuite de subsides vers le secteur privé et le permettent pas d’assurer la pérennité du foncier public.
En parallèle, de nombreuses mesures ont été prises, ces 30 dernières années, afin de fixer une classe moyenne en ville : abattement des droits d’enregistrement lors de l’achat d’un logement, prêts octroyés par le Fonds du logement, accès subventionné à la propriété via CityDev, primes à la rénovation, etc. Alors que les sommes investies sont considérables, plusieurs études montrent que la classe moyenne, plus mobile, ne se ‘fixe’ pas si facilement à Bruxelles. A nouveau, ces mesures sont des transferts direct d’argent publics vers des propriétaires privés, qui dans certains cas peuvent ensuite en tirer une rente personnelle en louant ou revendant leur logement. On peut donc s’interroger sur l’efficacité, mais surtout l’équité de ces mesures.
En cette période pré-électorale, l’appel du Housing Action Day exhorte les pouvoirs régionaux à prendre en compte les besoins des habitant.es de Bruxelles, et non des capitaux que l’on voudrait y attirer. Ces besoins doivent être le point de départ des politiques de logement et d’aménagement urbain. Y répondre passera notamment par la création massive de logements sociaux et la baisse immédiate des loyers.
Pour aller plus loin :
- Paul Zimmer, « Mise en perspective de la politique du logement de la Région de Bruxelles-Capitale »
- Inter-environnement Bruxelles, « Brève histoire du logement populaire à Bruxelles »
- RBDH, Baromètre du logement
- Médor, Bruxelles rentière